Une exposition ouverte tous les jeudis de 15h à 20h, et visites accompagnées tous les jeudis à 18h30 et 19h30 et dimanches de Siestes.
Dans un pâturage,
On pourrait facilement croire qu'inscrire une exposition dans une pâture est une manœuvre palliative destinée à montrer des œuvres au sein d'un lieu qui ne dispose pas de salles vouées à l'installation de celles-ci. En fait, pas du tout. C'est plutôt une tentative qui vise à créer une architecture aussi provisoire que l'est une exposition temporaire, une architecture renouvelable et modifiable à volonté, dont les contours collent parfaitement à leur utilisation. C'est un moyen de supprimer une construction au profit d'un espace simplement défini par son utilité du moment, taillé dans une ressource qu'on trouve ici en abondance : du végétal. Un espace qui reviendra à la nature avec autant de facilité qu'il s'en est légèrement éloigné. Enfin, c'est surtout une façon de parler des atouts de la ruralité et des opportunités qu'elle nous propose.
Abordons
Faire salon, c’est croiser des idées, croiser des artistes, des visiteurs, des histoires ancrées dans le réel. Dans une salle d'exposition aux murs invisibles, c'est mêler tout ça à un environnement originel. On n'est pas là pour visiter une exposition, mais plutôt pour la randonner.
Une archive involontaire
Donner de la matière à une archive, c'est explorer, c'est vouloir préserver la mémoire d'un site, c'est collecter dans divers lieux de stockage des objets à la conception énigmatique et dont les motivations sont souvent occultes.
C'est se confronter à une histoire qu'on n'a pas choisie, mais qui s'impose subitement, car elle nous transporte dans une connaissance inconnue.
Enfin, donner de la matière à une archive, c'est chercher et enquêter sur chaque découverte pour exhumer une fonction, une utopie ou un mode de pensée.
Dans cette collection, sont montrés tous les objets sans exception dont le statut incertain les a confrontés à la vie sauvage du stockage dans un atelier. Pour moitié considérés comme des carrières de matériaux ou de pièces mécaniques, mais aussi comme des objets qui paradoxalement ne doivent pas disparaître, scellés avec leurs histoires sous une gangue de poussière.
Toute cette cueillette forme une vitrine qui nous parle de différentes problématiques touchant à la transition écologique. Ce sont les restes d'expériences acquises qui ont créé des données, des résultats bons ou mauvais, et qui ont été, à l'instar d'un équipement scientifique obsolète, les vecteurs d'une nouvelle façon de penser.
Elles ont en commun d'avoir œuvré en leur temps à un monde plus durable et plus juste.
De la déambulation bucolique à la poésie punk
C’est à une forme de déambulation bucolique et artistique vers son « musée à ciel ouvert » que nous convie l’artiste Laurent Tixador sur le domaine de La Maison Forte. Tout commence par la descente d’un sentier qui mène à une source rafraîchissante procurant une agréable introduction sensorielle. Une eau claire, au son apaisant, coule dans l’abreuvoir où poussent des fougères scolopendres pour rejoindre le vieux lavoir. Plus bas, se trouve le vestige d’une de ses œuvres, Pas à l’horizontale, en fait1, qui s’insère entre les branches d’un arbre terrassé. Construite en planches d’acacias chevillées2, elle accueillait un concert de la musicienne Julia Hanadi Al Abed. A proximité, les deux fours, Denain et Tourcoing ont été réalisés en terre extraite sur place. Ils ont servi à la cuisson de briques, parfois estampillées d’un logo, ainsi que de tuiles, soigneusement numérotées, venues les recouvrir pour les consolider. Sur ces dernières, le spectateur attentif pourra s’amuser à déchiffrer ou lire des empreintes réalisées à l’aide de marguerites en buis3, comme ces slogans politiques MACRON DEMISSION et ATOMKRAFT NEIN DANKE, le numéro 510 qui est une référence à une parcelle de la ZAD de Notre Dame-des-Landes ou encore des abécédaires qui ont servi à la création originale d’une police numérique. Manifestement, toutes ces constructions ingénieuses fonctionnent comme un contrepied à la fermeture des hauts-fourneaux de Florange. Elles témoignent de toute la chaîne de production artisanale élaborée par l’artiste et fournissent des indices qui transforment le promeneur en archéologue, métier que l’artiste a d’ailleurs exercé.
Nous arrivons enfin au cœur du projet muséal T’inquiète pas, ça va marcher. Laurent Tixador nous invite à visiter, ni plus ni moins, l’exposition estivale, livrée aux intempéries, dont il assume le commissariat. Traitées à la débroussailleuse et à la tondeuse, trois zones servent d’écrin végétal à des artefacts répartis de manière rigoureuse, mais également surprenante. La première, nommée Réemploi, nous confronte à des inventions d’ingénierie écologique abandonnées par des créateurs-résidents que l’artiste a chiné sur le domaine. Elles peuvent paraître farfelues, comme cette égreneuse transformée en machine à fabriquer des tuiles par les paysagistes/architectes/designers Quand même4, cette table-solaire ou ce tabouret Coronakiss, voire destroy, comme ce bokashi artisanal5. Si certaines peuvent rappeler les sculptures modernes d’artistes dadaïstes ou surréalistes, qualifiées d’assemblage, Laurent Tixador tient manifestement à en révéler leur fonction utilitaire. Inutile ici de chercher à catégoriser ce que nous voyons. Ce regroupement d’objets s’avère aussi déstabilisant que le sol bosselé des salles. Sommes-nous conviés à la visite d’un « musée d’arts et métiers » ou d’un magasin de design de la désobéissance technologique ? La question reste ouverte.
Poursuivons. La visite de la seconde salle intitulée Energie est en continuité avec la première… Climatiseur, Moulin à parole, Bélier, Komomaki, Vélo à barbe à papa et Séchoir solaire constituent un inventaire à la Prévert aussi énigmatique que le sont ces machines bricolées. Ces dernières ne sont pas des représentations de figures ou de saynètes, comme ces sculptures de Pablo Picasso réalisées avec des objets de récupération hétéroclites telles Petite fille sautant à la corde ou Guenon et son petit. Dans l’esprit de Laurent Tixador, elles répondent au contraire à des fonctions spécifiques qui ont toutes en commun un rôle pragmatique : économiser ou créer de l’énergie. Aussi, pour mieux comprendre sa démarche artistique, il n’est pas inutile de faire un parallèle avec un de ses travaux antérieurs, Multiprise par exemple, une œuvre entièrement réalisée à partir de matériaux trouvés sur les plages de l’île d’Ouessant : des balles en cuivre qui serviront de fiches, des bouteilles en plastique d’isolant, un paratonnerre échoué de rallonge, du pétrole gratté sur les rochers de gainage de fils de cuivre. Cet ouvrage, né de la nécessité de disposer de prises électriques pour brancher un projecteur vidéo, une paire d’enceintes et un player, rendra possible la diffusion du film documentaire qui montre l’artiste au travail, dans un jeu de mise en abîme de sa propre fabrication.
Dans la dernière salle intitulée Production, les objets exposés peuvent être facilement qualifiés d’outils comme ce balai gringon ou ces deux marteaux en bois. D’autres, comme celui censé servir à la confection de cookies, paraissent plus incongrus dans cet ensemble. Nous pourrions imaginer que ces créations ont été soumises au concours Lépine, concours qui a accueilli au début du XXe siècle les inventions d’un autre artiste, l’anartiste Marcel Duchamp, qui y proposa sans succès ses Rotoreliefs6 aujourd’hui passés d’un statut d’objet ludique à celui d’œuvre d’art. Il semble bien qu’autour de la question de l’exposition, qui cherche à mettre en valeur des objets avec une rigueur toute scientifique, c’est notre volonté, presque maladive, de classification que l’artiste cherche à interroger. Le dépliant réalisé pour accompagner le spectateur dans sa visite participe au concept de cette exposition dans un jeu didactique perturbant où les photographies légendées de l’artiste et les textes viennent documenter son musée imaginaire céleste. Un musée en plein air qui, à sa manière, fait écho à celui créé sur la même commune par un collectionneur monbalenois de tracteurs anciens toujours fonctionnels qu’il aligne avec fierté et rigueur sur une parcelle agricole à certaines périodes de l’année.
La remontée vers la majestueuse demeure de La Maison Forte vous amènera peut-être à voir, face à vous, que la tour-forteresse, improbable assemblage architectural d’une chapelle et d’une tour de défense, fonctionne en écho avec les créations écoresponsables astucieusement mises en valeur dans l’espace muséal de Laurent Tixador.
Tout compte fait, l’important ici, ce n’est pas tant la beauté des objets exposés, leurs esthétiques, ni la nostalgie qui s’en dégage, mais c’est d’amener le visiteur à faire retour sur ses certitudes, lui permettre d’envisager un autre monde libéré des assignations à admettre les classifications, les catégories, ainsi que les contraintes productivistes ou consuméristes. Laurent Tixador nous suggère que nous pouvons chacun et chacune prendre en charge de façon responsable la fabrication des objets dont nous avons besoin, de la production d’outils en passant par l’utilisation des matières premières puisées sur place, que le ratage n’est pas une catastrophe, mais une belle découverte, sans oublier que tout va disparaître. La poésie punk a encore de beaux jours devant elle. Et pour paraphraser le titre de l’exposition : « t’inquiète pas, ça marche ! ».
Philippe Szechter
Juin 2024
NOTES
1. Cette œuvre peut être qualifiée de fabrique de jardin, c’est-à-dire une construction à vocation ornementale réalisée dans un parc ou jardin servant généralement à ponctuer le parcours du promeneur.
2. Le robinier faux-acacia est la seule essence européenne de classe de risque 4 pour une « Utilisation à l'extérieur au contact du sol et de l'eau douce exposé en permanence à l'humidité », tout comme des essences tropicales telles que l'iroko, l'ipé.
3. Roue portant à sa périphérie les caractères d'impression de certaines machines à écrire et de certaines imprimantes. L’artiste a réalisé cinq types de marguerites pour faire des empreintes dans la terre et réaliser ainsi la totalité des chiffres et des lettres.
4. http://quandmeme.fr
5. Le bokashi, qui signifie « matière organique fermentée », est une méthode japonaise de compostage alternative au compostage traditionnel et au vermicompostage.
6. Le Concours Lépine est une institution fondée en 1901 par le Préfet de Police Louis Lépine. Son souhait était alors de créer un espace pour offrir de la visibilité aux petits fabricants de jouets français désireux de rencontrer leur public et de retrouver des finances stables. En 1935, Marcel Duchamp (qui se définissait lui-même d’anartiste) présente son invention les Rotoreliefs au 33e concours Lépine à la Porte de Versailles pour les commercialiser. Constitué de disques imprimés et d’un phonographe, ce jouet qui produisait des effets hypnotiques deviendra une œuvre d’art cinétique célèbre.
Pour plus d’informations sur les Rotoreliefs : https://www.cinematheque.fr/article/1586.html