Changer le logiciel des politiques territoriales
On connait les crises que nous avons plus ou moins dépassées et l’on perçoit celles qui viennent. Cette situation est d’autant plus douloureuse en ruralité et cela se traduit par un appauvrissement des populations, une disparition des services publics, manque de compétence capable d’aider les élus, la fuite des jeunes les plus formés, une désertification des centres villes... Les conséquences, on les connaît : crise des gilets jaunes, montée de l’abstention et des extrêmes, émergence de formes de séparatismes… Pour tenter de faire oublier cela, nombreux sont les territoires à multiplier les effets de communication et à compter les sous qu’ils n’ont plus. Pour celles et ceux qui refusent même de porter l’attention sur la nécessité d’un changement de paradigme, chacun travaille à toujours plus diviser à exclure et/ou à s’en remettre aux recettes magiques : les mêmes qui ne fonctionnaient pas hier et qui ne marcheront pas mieux demain.
Dans le cadre de nos travaux sur notre capacité sociale à faire autrement territoire (le mot devrait peut-être même être repensé), à mettre en débat ce que l’on entend par développement et quel développement on souhaite collectivement, voici trois points de vues, trois éclairages qui partent des années soixante jusqu’à demain.
Yves Gorgeu, ingénieur agronome a passé sa carrière à penser et à investir l’espace social de la ruralité. Depuis les années 60, il voit la complexité se mettre en œuvre, le passage d’une dynamique d’animation à une dynamique de développement. Pour lui, la réponse au développement qui nous occupe, consiste à jouer à la périphérie des territoires plus qu’au centre, à identifier et à animer le réseau d’acteurs existants, à remettre au cœur du système, la confiance entre les acteurs : bref, à faire paysage. Un entretien aussi rafraichissant qu’inquiétant : les problèmes sont connus et analysés depuis longtemps; nous continuons néanmoins à les subir...
Alain Milon est philosophe, spécialiste en cartographie. S’il faut penser les territoires autrement, s’il faut revoir les logiciels, de quels outils dispose-t-on ? Pour nous accompagner dans cette question, il pose la carte comme base de réflexion. Alors que les cartes contemporaines hiérarchisent, normalisent et effacent les différences des territoires, il nous invite à penser autrement ces représentations, par la relation : une manière radicalement nouvelle de penser et de voir nos espaces sociaux.
Vincent Pacini, professeur à la Chambre Nationale des Arts et Métiers, est spécialiste des questions de prospective territoriale et son regard est sévère, c’est le moins que l’on puisse dire. La raison des blocages : une incompréhension des conditions de fonctionnement du monde, un défaut de posture où l’on privilégie le faire, et le faire tout seul, plus que le process du faire ensemble avec ce qui est. Les raisons de ce refus de faire autrement ? Elles sont multiples et reposent principalement sur le manque d’imaginaire de nos dirigeants, leur peur de ne pas savoir. Ce manque d’imaginaire étant celui de nos élus, des personnels administratifs mais surtout du système lui-même qui étouffe toute capacité à innover, à faire autrement, à prendre le risque de ne pas savoir. C’est là que la situation est périlleuse car, n’en déplaise à beaucoup, le problème n’est pas tel ou tel individu, mais un système inopérant dans lequel nombreux.euses se complaisent.
Ce que l’on retient de tout cela : faire avec ce qui est, intégrer des dynamiques de développement qui reposent sur une concertation sincère, sur une connaissance et une valorisation des ressources, sur une philosophie régénérative des territoires. Ce qui compte étant bien moins LE projet que la capacité instituée à faire ensemble. C’est dans cette perspective que s’inscrit Visacoop, le système de cartographie relationnelle que développe La Maison forte, projet de recherche financé par la Région Nouvelle Aquitaine, avec le soutien de la Communauté d’Agglomération du Grand Villeneuvois.
Alors, est-ce qu’il existe des territoires où les choses avancent autrement ? Oui, nous en avons déjà exploré lors de nos derniers « Champs magnétiques », c’est l’objet des écoutes que nous conduisons sur la Vallée du Lot avec l’Unadel et ce sera la raison de multiples rencontres à venir.