Le Villeneuvois bien sûr revendique sa part des charmes de La Vallée du Lot !... Mais au-delà de la vitrine touristique, la réalité supporte mal l’analyse : vieillissement de la population, majoritairement sous perfusion d’aides sociales, paupérisation, centres villes désertés, départ des jeunes formés, peu d’offre culturelle, isolement grandissant… Tout habitant ici se félicite de la « douceur de vivre »… mais ne manque pas immédiatement de souligner le déluge de problèmes. Et d’ajouter : il faudrait « développer » ce territoire ! Oui mais sur quelles bases ? L’avalanche de handicaps laisse muettes les meilleures volontés. En travaillant, à sa manière, depuis deux ans, La Maison forte valorise l’innovation sociale et a conduit (presque) cent entretiens avec des acteurs de la vie locale, des élus, des habitants… lentement, patiemment : ECOUTER, au-delà du dessin convenu, « ce qui fait territoire » pour chacun.ne. Que de surprises !
Unanimement tout le monde souligne une « terre d’accueil, d’immigrations et de brassages »… mais il n’existe pas réellement d’histoire partagé de son Histoire, de son développement. Il semble qu’aucun récit ne fonde une mémoire collective facile à restituer et à transmettre. Pas de récit collectif mais des aventures claniques, des querelles tenaces et des bouderies en séries. Mais pas que.
Manque d’ambition dit-on aussi, de fierté, c’est toujours les « néos » qui savent, mais on s’en méfie… Oui, décidément il faudrait, pour vivre mieux ici, être fier du Pays et savoir le dire ; mais fier de quoi exactement ? Tentez de questionner vos voisins, vos amis sur de grands récits qui ont fondé un sentiment commun d’appartenance à ce territoire… ils avanceront la douceur de vivre, la beauté des paysages, la qualité de l’environnement, les produits du terroir… et reconnaitront unanimement que c’est insuffisant !
Depuis deux ans, bribe à bribe, morceau par morceau, l’équipe de La Maison forte a commencé la recherche par le site même du château de Monbalen où elle est installée : archives, généalogie, parole des anciens, archéologie… un patient travail qui cherche à restituer un patrimoine commun sur « ce qui reste » : aucune certitude mais « des états supposés » de l’histoire du site et de son architecture.
De cette aventure, de la vie quotidienne ici, depuis cinq ans, nous avons forgé la certitude que ce territoire dispose d’un ensemble de forces – qu’il s’amuse éventuellement à garder secrètes ! Comme une façon efficace de lutter contre l’envahisseur !... Hybridation (greffe), authenticité (franc parler), rudesse joyeuse des humains attachés (sincèrement) à la diversité des paysages, complexité des histoires familiales… De la prune d’Ente au couscous dominical, de la connexion des patois de Guyenne et de Gascogne aux rencontres du Lot et de Garonne, des auberges espagnoles aux réseaux de territoire, les usages, les personnes, les sentiments sont complexes, divers et différents. Authentiques car, ici, les gens sont de la terre, du soleil et du travail paysan. Cette terre et ces bourgs ont longtemps été les communs des habitants. Si, ici, « on bouffe du curé », on n’a pas de culture des syndicats ouvriers ; n’étant ni ceux de la paroisse, ni ceux de l’usine, les Communs sont ceux de la terre, des familles d’accueil, des maisons familiales rurales, des bons repas et du rugby. Depuis quelques dizaines années cette richesse se fissure notamment sous l’effet de l’industrialisation agricole. Les secrets bien gardés ne s’affichent pas… mais créent de l’isolement. Mais cet isolement est aussi une force : ce territoire friche attire de plus en plus, idéalement placé « entre », Toulouse et Bordeaux, Agen et Villeneuve, sans grands équipements, sans grands projets fédérateurs, très vite assimilé à un des derniers « espaces des possibles ». Sans doute, ici, on se méfie de la nouveauté, et les ambitions « étrangères » doivent faire leurs preuves… mais la culture de l’effort et du travail bien fait est très présente, l’envie de faire, de participer, de s’engager est capable de produire une solidarité plurielle. Car, au delà du sentiment de qualité de vie, c’est aussi la dureté de la vie sur ce territoire et l’éloignement des voisinages qui produit un véritable commun.
Le travail ne fait que commencer… rencontrer, écouter, restituer, mobiliser ! Il n’est pas temps de faire le portrait du territoire, nous nous contentons de rapporter des questions, des sentiments, …
Avec l’aventure Visacoop – ce patient travail d’écoutes territoriales – nous inventons un système de cartographie sensible qui, de parole en parole, de rencontre en rencontre, révèle « les invisibles » du territoire pour produire les conditions d’une concertation sincère, pour mobiliser autrement le plus grand monde dans un espace commun à réinventer. Interviews, podcasts, analyse sémantique, séance de co-création, chacun.e est désormais capable de participer à l’aventure et de se faire entendre.