L’agenda se vide au cours des prochaines semaines, le temps de la recherche se précise pour une réouverture en 2025. De novembre à février, nous réfléchissons à ce que l’on fabrique, nous préparons, nous rencontrons du monde, nous faisons grandir les coopérations, nous reprenons le temps. Un peu comme le paysan qui prépare ses semis, nous préparons la saison. Bilan 2024 donc, dans les grandes lignes et en huit points.
Ou la bonne idée de ne pas souhaiter une « bonne année »
Démocratie, élites et IA
Chocs esthétiques, le chant des oiseaux
L’école est ouverte
Une dynamique fluide
Des idées neuves car plus que jamais : il n’y a rien à comprendre
La fin des transitions
Et les médailles en chocolat
La bonne idée de ne pas souhaiter une « bonne année »
Depuis quelques temps, il semble vain d’imaginer que demain ira mieux, dans ces conditions, se souhaiter une bonne année résonne un peu creux. 2024 n’a pas été décevant en termes de politique du pire. Le philosophe, Bernard Stiegler disait à la fin de sa vie que ni l’optimisme, ni le cynisme n’était éligible pour le monde qui vient. La première attitude frisant la niaiserie, la seconde le cynisme. Certainement faudrait-il désormais miser sur le courage. Faire le deuil de quelque chose qui disparait et agir. Agir, non pour changer les choses, le désespoir nous gagnerait alors, mais agir, lutter pour rester vivants. Ce sont les deux héritages que nous ont laissé les rencontres avec Philippe Mangeot scénariste du film « 120 battements par minute » et Carmen Castillo pour « On est vivants », films diffusés dans le cadre de nos rencontres « Champs Magnétique ». Agir par ce qu’il faut des îlots d’espoir pour que celles et ceux qui sont plus impliqués que nous dans l’invention de nouveaux modèles puissent se recharger, agir pour quand un autre monde viendra, celles et ceux qui seront à la tâche sachent qu’avant eux, tout n’était pas destruction et culture de mort.
Démocratie, élites et IA
Cette année, trois nouveaux sujets nous occupent. Nos compagnonnes Anne Rumin et Renda Bellmalem travaillent avec nous sur le sujet des liens entre crise environnementale et démocratie. Clairement l’insécurité ambiante – celle liée à ce qui ressemble à un effondrement environnemental – et l’absence d’autre temporalité que celle du temps instantané se conjuguent avec un besoin populaire, plus ou moins conscient, d’autoritarisme. Cette marche est en cours. Elle prend pour cible les élites que l’on peine à définir. Depuis le lâchage des loups dans les urnes, la haine tombe notamment sur les « bobos écolos » plus que sur les influenceurs, les ayatollahs de l’ultra libéralisme, les pollueurs ou les pilleurs. Cette année, pour la première fois, nous avons le droit à nos bordées d’injures toujours cachées derrière les écrans. Il va falloir vivre avec et surtout réfléchir en quoi, quelques smicards endettés – édentés - travaillant dans un château incarnent cette élite, comprendre comment faire ce pas de côté vers ces fameux autres invisibles, sans ne rien lâcher. Pas si évident. Dernier espace que nous explorons, lié à l’analyse des centaines d’entretiens que nous menons avec nos voisins : l’intelligence artificielle. S’il apparait de plus en plus que personne ne comprend comment fonctionne ce système, sa prise de pouvoir devient exponentielle, incontrôlable. Et si la fin de l’humain ne venait pas des aliens extra-terrestres mais du fond de notre portable ?
Chocs esthétiques, le chant des oiseaux
Alors il nous faut respirer, retrouver de la lumière. Il est clair que les résidents, les artistes, les chercheurs et bidouilleurs qui occupent toute l’année la Maison forte nous y aide au point où il est rare qu’à leur contact nous ne changions pas notre rapport au monde, à la connaissance. Ils/elles sont des forces de transformation. On ne récapitule pas ces heures, ces étonnements, vous les trouvez en partie sur ce site, sur nos fils, dans nos cahiers. Juste quelques images. Anne Lise Legac qui planche sur une tête d’Elon Musk en gélatine qui vibre grâce à des infra basses et qu’elle dévore à l’issue de sa performance. Juste pour le plaisir d’une rage gourmande. Il y a Lorenzo Naccarato, jeune pianiste un peu prodige et un peu fou peut-être. Son rêve de murmuration, créer une nuée d’humains au cours d’une migration en piano à roue. Une migration qu’il défile du nord de l’Allemagne au Sénégal sur la trace des oiseaux migrateurs. Quelques enregistreurs magnétiques l’accompagnent pour une étrange composition, un looper analogique. Une vive émotion quand il nous présente l’enregistrement de Hawai o o, petit oiseau noir au toupet jaune, chantant pour sa belle. Disparu en 1986, celle-ci ne lui répondra plus et c’est Lorenzo qui s’y colle dans une impro qui bouleverse. Il y a aussi Laurent, spectateur d’un de nos bazars de printemps qui se lève alors que l’on évoque Pierre Boissière qui avait enregistré toute sa vie les derniers paysans chantant ici leur Branla Boièr, chant de régénération, chant de la terre et de reconnaissance comme le font les oiseaux. Sans que nous le sachions, Laurent était héritier de ce chant qu’il nous livra simplement, ce qui ne nous laissa pas indemne. Le vivant et les rencontres associées sont puissantes de vie. Nous pourrions parler d’une fréquentation en hausse de plus de 40%, de temps souvent complets mais franchement ces moments de rencontre sont la seule raison d’être de l’expérience que l’on tisse ici.
L’école est ouverte
Une année de travail auprès du réseau Etre pour être labelisés comme capables d’ouvrir une école dédiée aux jeunes en situation de décrochage, ici en Lot-et-Garonne. Passé la fierté, la responsabilité et le travail. C’est une tâche énorme que d’acquérir la confiance des prescripteurs, missions locales, écoles… Et c’est tant mieux. C’est aussi une manière de découvrir des métiers, des engagements, un réseau de gens qui travaillent loin de la lumière à soigner les fractures du monde. Voilà donc, nous commençons et passons à peine la première. Quelques groupes accueillis seulement en 2024 et 25. Nous apprenons une relation nouvelle où l’on a autant à apprendre des jeunes que l’on accueille qu’ils ont à découvrir de nous. S’il y avait un souvenir à retenir de cette année, c’est sans conteste celui-ci.
Une dynamique fluide
Peut-être devrions nous démarrer ces bilans par ce qui va le mieux dans ce monde et notre équipe est en soit, une belle nouvelle. Cinq nouvelles recrues cette année, Marion, Clara, Lucas et nos ânesses Tulipe et Lili. Coup de jeune sur La Maison forte, effet de rhizome, les affaires se traitent entre deux portes, les choses vont vite, elles sont fluides. Le sentiment d’un commun nous habite. Forts de cette énergie nous commençons – et ce sera bien plus visible en 2025 – à faire réseau, de plus en plus rapidement au point où l’on est convaincu que si un jour, nous disparaissons alors nous serons partout, nous devenons furtifs.
Des idées neuves, plus que jamais : il n’y a rien à comprendre
Parallèlement à ce qui abime, ce qui nourrit. Peut-être étions nous moins éveillés il y a quelques années mais le sentiment qu’aujourd’hui, tout se réinvente s’ancre un peu plus, chaque mois que l’on partage ici. Partout, la pensée progresse, explore et bifurque. Livres après livres, rencontres après rencontres, nous sommes cette année plus encore que l’année dernière, sidérés par ce que l’on apprend, ce que l’on découvre. Cette civilisation qui disparait ou celle qui vient est d’une créativité enthousiasmante. Alors quand on vieillit près de cette jeune équipe, un pouvoir de régénérescence des plus troublants nous réveille encore. Parmi ces gens, un nouveau visiteur qui a pris quelques semaines, mois à avouer n’avoir rien compris lors de son premier passage. La curiosité de revenir lui a été bénéfique puisqu’il n’a pas plus compris la fois suivante jusqu’à ce qu’il saisisse qu’ici, il n’y a rien à comprendre, juste à vivre.
La fin des transitions
Le commun dont on parle suppose de nommer les choses, plus encore quand on travaille sur ce qui apparait. Mission difficile. Forts de notre « Fabrique coopérative des transitions » nous avons bien avancé ces six années mais force est de constater la difficulté du chemin, l’adversité et peut-être pire, le lessivage complet du terme de « transition ». Même les mots sont dévorés, botoxés par la machine à business, à détruire le vivant et on lutte avec ou contre plus précisément. Si transition suppose un lien entre un état et un autre, un mouvement lent, graduel, intermédiaire la réalité de ce qui se joue aujourd’hui parle de plus en plus d’un besoin de rupture. Difficile de trouver les justes termes, ceux qui n’inquièteraient pas. Certainement va-t-il falloir être à la hauteur de la radicalité qui nous attend. Trouver un autre terme qui nous fédère, c’est un des chantiers de l’année qui vient.
Les médailles en chocolat et la joie
Si l’année 2024 est celle où l’on se prend les premières attaques, c’est aussi celle d’une pluie de reconnaissances, labels et médailles en chocolat. La plus belle « Le printemps de la ruralité », une formidable étude menée par le ministère de la culture sur la place de la ruralité dans un projet culturel contemporain. 20 lieux identifiés en France dont La Maison forte. Une belle nouvelle : 100 millions d’euros à la clé. Cela c’était au printemps, depuis plus rien. Cela, c’est déjà 2025…