Célestin Spriet écrit et réalise des films de fiction qui explorent le rapport entre mémoire et espace. Son cinéma s’ancre ainsi dans des géographies précises où l’histoire, intime et collective, ressurgit. Intéressé également par les possibilités du numérique, il développe des lieux virtuels dont les usages mettent en jeu la propre mémoire de l’utilisateur.
La proposition de Célestin est riche, originale et attire notre attention : concevoir un composteur de mémoire. Avec cette idée, se déploient les questions du tri, du recyclage, de l’éventuel réemploi, des différents rites associés à ces pratiques.
Sa piste de travail : retravailler l’imaginaire lié aux déchèteries physiques, ces lieux où l’on se rend lors d’un déménagement, pendant des travaux ou après un décès. On y jette, on s’y débarrasse en sachant que nos objets seront pris en charge, recyclés, transformés. En allant à la déchetterie, on participe au cycle de vie et de mort de nos traces humaines.
Aujourd’hui, une grande part de notre mémoire est numérisée, ses données étant éperdument indexées, stockées. Cette mémoire ainsi saturée, c’est aujourd’hui toutes les photos, les fichiers vidéo, les documents stockés sur le cloud, accessibles en continu et qui, de manière invisible, polluent notre environnement. Le besoin de matériaux rares et l’énergie nécessaires à la conservation de cette « mémoire » semble exponentiel. On sait désormais grâce à un rapport de Digital Power Group, que si le Cloud était un pays, il serait le 5ème consommateur mondial d’électricité, devant l’Inde, l’Allemagne ou la France.
Alors sur quelle mémoire se construire ? comment s’en détacher, retrouver une page vierge pour avancer ? Voici quelques-unes des questions posées par cet artiste pour un autre « reset ».
Initialement, le projet consistait à récupérer des fichiers, transformer les données numériques en lumières colorées et trouver un dispositif qui, par la compilation de ces fichiers, vire au blanc, à la lumière pure, avant dissipation ; en quelque sorte, dans ce composteur numérique, créer un deuil lumineux. Derrière cette idée « simple », nombre de sujets surgissent qui touchent autant au dispositif technique qu’à l’incitation : comment motiver les contributeurs à se séparer de l’illusion de leurs mémoires ? Quelle gestion énergétique du protocole ? Quel support de projection ?
C’est sur ce dernier point que Célestin concentre principalement son attention pendant sa résidence en choisissant la chapelle de La Maison forte comme espace de révélation du dispositif. Son souhait : produire un mystère autour du procédé, renforcer la dimension rituelle de la destruction et inverser le rapport aux espaces en confondant l’extérieur et l’intérieur du bâtiment, l’intime et l’extime. Par un jeu de miroirs gravés de palimpsestes placés dans les ouvertures de la chapelle tels des vitraux, le sacré que l’on voit est désormais le ciel qui, dans son reflet, dissout l’architecture du bâtiment. Derrière chaque « vitrail » perce l’illusion du vide qui n’est que le reflet de l’extérieur dans le miroir, reflet changeant selon notre position. L’intérieur de la chapelle, censé refléter une lumière sacrée, est désormais un serveur, une boite noire, signe du secret algorithmique des dieux de nos nouveaux imaginaires : Google, Facebook et autres licornes.
>> In fine, les enjeux techniques et le cadre d'usage collectif n'ont pu être résolus. Néanmoins, le travail de Célestin a ouvert nombre de pistes essentielles pour nous. La première, la plus désagréable, et la plus essentielle : Comment faire le deuil de ce qui n'est plus et donc nous préparer joyeusement à créer ce qui vient ? On parle trop de transition avec comme seule ambition inconsciente, reproduire ce qui a échoué. Le second apport a été de nous inviter à regarder cette chapelle, la penser et la réaménager différemment. Le troisième apport a consisté en l'usage du miroir, le jeu sur le reflet, la mise en abîme d'une intériorité, extériorité, sans cesse à ré-interroger.