2022 démarrait avec le sentiment que la crise du Covid était derrière nous. Un lieu comme le notre a aussi pour intention de partager de la joie avec les publics, et cette fois, nous pensions avancer vers une forme de vie plus légère. Février, la guerre se déclare en Ukraine. Où l’on comprend que la guerre est un fait social contemporain et de proximité, où l’on saisi que la raréfaction des ressources alimentaires et pétrolières est la raison de conflits à venir et l’on mesure que ce que l’on croit acquis : la démocratie, est quelque chose de fragile. Contre cela, nos voisins sont prêts à engager une guerre culturelle.
Avec la crise climatique de 2022, le discours désormais affiché d’une extrême droite qui se dit désormais en « guerre culturelle » contre un modèle de société plurielle et de partage des ressources, notre situation civilisationnelle en transition est très précaire. Cette guerre, si violente soit-elle, n’est que le symptôme d’une crise plus profonde.
Nous démarrons donc notre saison avec une trouvaille : Polyphony project. Il y a quelques années de cela, des femmes essentiellement, ukrainiennes, lançaient un appel. Leur culture rurale chantée disparaissait. Effet de la mondialisation, disparition des plus jeunes, extension des surfaces agricoles et perte des voisinages… leur sujet n’était pas si éloigné de ce que nous vivions ici, sur ce petit territoire français. Depuis, des ethno-musiciens ont fait le tour des campagnes pour enregistrer, transcrire les paroles et partager ces chansons afin que chacun puisse se les approprier et les faire vivre où que l’on soit.
Bien naïvement, une chorale improvisée, sous la direction de Mathilde Limal s’est attelée à cette tâche pour une rencontre en zoom organisée en mars 2022 avec l'Ensemble vocal du Musée Yvan Honchar à Kyiv composé de Sofia Andrushchenko, Stepan Andrushchenko, Ohla Carapata, Natalia Khomenko, Myroslava Vertiuk. Après c’est un choc, une émotion, le sentiment d’une fraternité qui se construit. Plus avant, nous avons pu mesurer que l’échange culturel fait la nique à nombre de discours et de bonnes intentions toutes faites. Les temps allant, législatives française et vague d’extrême droite à la clé, d’Ukraine nous étions contacté pour nous rappeler un chant révolutionnaire « Le temps des cerises », nos amis s’étonnant que l’on puisse conjuguer chanson d’amour et révolution. Nous convenions alors de nous voir, de profiter de cette rencontre pour qu’elles interviennent auprès de l’Assemblée des départements de France et portent leur message : cette guerre qui produit chez nous l’inconfort d’une crise économique et énergétique, nous concerne au delà. Immédiatement, le Conseil départemental de Lot-et-Garonne, le festival Haizebegi, le chœur d’hommes de l’Auvignon nous rejoignaient pour organiser une belle tournée dans le sud ouest de la France.
Stepan, jeune chanteur, en âge de combattre était retenu à la frontière quelques jours et tout s’enchainait. D’émotion en émotion, d’échange choral, en coups de poings politiques, de discussions jusqu’au bout de la nuit quelque chose commençait à sourdre : notre travail est politique, au risque de l’inconfort et du dissensus. En clôture de cette aventure, un concert sublime en l’église de St Antoine de Ficalbia, suivi d’une douce nuit entachée des premiers bombardements russes sur Kyiv. Nous décidions au moment de nous quitter très émus, de créer un lien définitif entre La Maison forte et le Musée Yvan Honchar à Kyiv.
>> Que nous reste-t-il au delà de cette déconstruction ? Une proximité qui fait que l’on sait désormais que la raréfaction des ressources, la lente destruction de nos liens sociaux et fondamentaux démocratiques seront la cause des prochaines guerres à venir, jusqu’ici. Au delà, même si l’on mesure la possible vacuité d’un tel discours, la poésie, le chant, l’émotion sont des armes de lutte et de changement : on fait politique. Nous reste ces visages ainsi que ceux qui désormais occupent notre fil Facebook, de jeunes gens morts au combat et on les reconnait. Enfin, on ne peut cesser de se rappeler cette phrase de Oleksandra Matviichuk prix Nobel 2022 « Le pessimisme est un luxe qu’on ne peut pas se permettre. Quand ta force disparaît, c’est ton caractère qui surgit ». Nous tâcherons d'être à la hauteur de cela.