La Maison Forte

Ouvrir le débat pour coproduire le territoire

Lecture du rapport de recherche publié par l’ICADD : “Projet négocié dans un contexte de développement durable : méthodes et outils collaboratifs”

Le rapport de recherche publié par l’ICADD : “Projet négocié dans un contexte de développement durable : méthodes et outils collaboratifs” met en avant les conditions de coproduction de la ville entre puissance publique, usagers et partenaires privés.  A partir d’échecs et de succès expliqués avec précision, l’équipe ICADD organise un travail de cross dressing consistant à chercher sur d’autres secteurs d’activité la façon dont on implique les usagers notamment dans la conception d’innovations. Sombre analyse d’une culture politique qui souvent n’a d’autre intérêt à investir la participation qu’un enjeu de communication. Cet éclairage, pourtant, est un apport méthodologique et bibliographique important pour notre étude des conditions de coproduction de l’innovation.

Cette étude décrit pourquoi la ville contemporaine est nécessairement, et de fait, un objet de coproduction. Elle répertorie les difficultés rencontrées dans le cadre de projets de coproduction et l’on comprend notamment un problème de point de vue : Qu’est ce que l’intérêt général, qui en exerce la charge et comment ? On saisit aussi que dans un tel cadre l’usager est un fantôme. Statistique objective, il y a peu à parier qu’il ressemble à ceux qui croiseront le futur projet. Huit points de méthodes sont proposés et dans le détail, tous les outils utilisés sur d’autres secteurs sont expliqués. Pourquoi donc, ne savons-nous pas penser et mettre en œuvre une co-conception de la ville ? Peut-être simplement parce que l’on n’a toujours pas changé de logiciel.

 

Pourquoi la ville contemporaine est un objet de coproduction ?

 

La vision déterministe qui accompagne l’urbanisme moderne s’effondre depuis les années 80 face aux phénomènes d’incertitude, de crise de gouvernabilité et de l’émergence de différentes formes de démocratie participative.

Le monde moderne empêche un urbanisme fondé sur la prévision et la planification. Les interactions multiples et accélérées au sein de la ville font de cet espace, un environnement incertain. Les sciences et techniques contemporaines qui participent à ces nouveaux usages, multiples, segmentés et interagissant à une vitesse toujours plus élevée n’apportent pas plus de certitude ni ne permettent une approche flexible et réflexive de la ville.

L’accroissement de la complexité institutionnelle, financière, technique et fonctionnelle des projets urbains fragmente jusqu’à l’incohérence l’espace métropolitain. La gouvernabilité des villes est en crise.

Dans un tel cadre apparaît, selon les auteurs de ce rapport, que le monde contemporain est trop complexe pour en confier l’analyse et en déléguer les décisions à un seul groupe d’acteurs. Les situations d’incertitudes nécessitent le recours à une expertise pluraliste incluant différentes catégories de profanes ouvrant une large confrontation de points de vue.

Émerge ainsi la nécessité de développer une démocratie participative qui implique une citoyenneté active et informée ainsi que la formation d’un public actif, capable de déployer une capacité d’enquête afin de rechercher lui même une solution adaptée à ses problèmes.

Sans négociation, coordination,  feed-back, pas de processus flexibles et réactifs des modes de construction de la ville car les règles aujourd’hui ne sont plus exigencielles mais performancielles. C’est moins le cadre administratif qui légitime un projet que sa performance réelle. Le nouveau défi des gestionnaires est donc d’organiser la convergence des logiques et des objectifs, souvent différents voire opposés, que portent les différents acteurs. La prise en compte des exigences des usagers, actuels et futurs, le partage des risques et la co-responsabilisation entre différents acteurs du projet, y compris les habitants, la prise en compte du cycle de vie du projet, et la traduction de tous ces éléments sous forme de performances à la fois sensibles, intelligibles, fonctionnelles et mesurables, sont des enjeux qui relèvent de ce nouveau contexte d’action encadrant les processus de conception.

Si de nombreuses tentatives, qui prennent des formes différentes selon les contextes et les problématiques traitées existent, force est de constater que les dispositifs et les méthodologies mobilisés pour organiser les processus de co-conception sont généralement loin de répondre aux problèmes que pause la constitution d’un environnement de travail collaboratif.

Problématiques rencontrées dans le cadre des projets de coproduction de la ville

Dès le début de l’étude, un schéma simple rappelle que de telles solutions de coproduction n’ont rien de magique et que l’on maîtrise parfaitement le cadre méthodologique des process de co-conception depuis plus de 60 ans. Pourtant peu de projets sont à cet endroit exemplaires, pourquoi ?

Il existerait d’abord trois formes de démocratie participative. La première est une consultation qui permet aux citoyens l’accès à l’information, la seconde, plus de l’ordre de la concertation, propose un débat organisé autour de différents points de vue, la troisième dite de coproduction cherche à associer directement les citoyens aux prises de décision. Pour le Certu, toutes ces formes sont participatives au sens où donner de l’information aux citoyens c’est donner du pouvoir et la possibilité d’agir. Forts de cette analyse, nombre de décideurs s’arrêtent à l’étape de consultation.

 

Un défaut de point de vue 

Pour autant ces actions sont-elles réellement opérantes ? Non si l’on en croit les auteurs, notamment parce que la participation des citoyens dans les instances publiques se fait de plus en plus souvent à l’initiative des acteurs publics. Ce processus qualifié « d’institutionnalisation des instances de participation », semble résulter d’une volonté d’encadrer et de contrôler les formes et les effets que la participation de citoyens peut prendre. Or il n’existerait pas de participation sans mobilisation et sans conflit, le paradoxe étant que la participation revendiquée, qui fait si peur aux dirigeants d’entreprise et aux acteurs locaux, est la seule productive.

 

Une méconnaissance du bien commun par le politique 

Selon une étude de terrain réalisée en 2006 par Donzelot et Epstein, la participation en France est un exercice plus incantatoire qu’effectif alors que dans les pays anglo-saxons, elle relève d’un impératif pragmatique. Ceci étant du, selon les auteurs, à une différence d’appréciation des conditions de l’action publique. En nous basant sur l’intérêt général, nous déléguons à des acteurs publics et à des techniciens la gestion d’une chose considérée comme supérieure à l’intérêt privé des individus. En quelque sorte nous privatisons l’espace d’action alors que les anglo-saxons eux, investissent la notion de bien commun en cherchant à relier les intérêts particuliers et à établir un accord entre eux plus qu’à s’y opposer. On ne cherche avec le bien commun, ni à fusionner les intérêts, ni à les fondre dans une entité supérieure mais à trouver un point d’accord entre eux. Dans l’optique de l’intérêt général on cherche dans la participation une légitimation de la décision alors que dans l’optique d’un bien commun on cherche une mobilisation pour action.

 

L’usager fantôme

Troisième raison de la difficulté à engager des processus de coproduction, le terme même d’usager. Si l’on s’accorde sur le fait que l’usager est celui qui utilise les services publics, cet animal serait à y regarder de plus prêt, asocial, asexué, souvent anhistorique et l’on ne s’en sert que quand on en a besoin. Le moins étant le mieux, on ne le connaît pas. Il est transocial, il concerne toutes les strates de la société, toutes les générations, toutes les localités : il est hors situation et hors territoire. Pourtant avant chaque projet cet individu mérite d’être connu car il est complexe, il est usager certes, il est aussi habitant au sens où il cherche à s’approprier son espace, il est citoyen au sens où il lutte pour la reconnaissance de sa capacité de contrôle et de gestion des biens publics métropolitains. Sans plus de soucis de le définir, la notion même d’usager devient passive et sa définition fige les situations. L’usage n’est probablement pas si objectivable dans un espace métropolitain qu’habite une forte charge symbolique. En évinçant les notions de sensible, de vécu et de temporalité, les programmateurs cherchent en fait souvent à s’éloigner de la complexité urbaine telle que décrite en introduction.

 

Des recommandations méthodologiques existent pourtant

La première des conditions préconisée par cette étude est de faire du travail participatif un des enjeux majeurs du travail urbain. Si des lois et nombre d’agences poussent en ce sens, toutes se gardent bien d’éclairer sur les méthodes à utiliser alors que les bases d’un tel échange sont pourtant simples :

1° Tous les acteurs concernés par le projet devraient être représentés ou intégrés.

2° Les participants devraient pouvoir dialoguer d’une manière sincère et compréhensible et devraient disposer des informations précises pour ce faire.

3° Tout sujet doit pouvoir être abordé.

4° Tous les participants devraient être informés de la même manière, et devraient avoir le même droit de parole en tant que membres d’une discussion collaborative.

5° La décision devrait être prise seulement quand la majorité des participants est satisfaite, et seulement après qu’un effort substantiel ait été mis en œuvre pour satisfaire tout le monde.

6° Le processus devrait s’appuyer sur une volonté politique et technique affirmée.

7° Le processus devrait être structuré à partir du choix de dispositifs de travail collaboratif qui correspondent aux spécificités du contexte de l’action.

8° La mobilisation de médias, et plus particulièrement de représentations, devrait, de la même manière, correspondre aux attentes et aux besoins des différents acteurs qui participent au processus.

Si l’on connaît les règles de telles organisations, elles ne sont pas respectées, chacun continuant de privilégier des modes d’échanges linéaires et hiérarchiques. Rarement tous les acteurs concernés par le projet ne sont impliqués dans le processus. L’information diffusée est souvent partielle, illisible, tronquée ou fantasmée. Les moyens temporaires et financiers pour animer de tels process ne sont pas engagés. L’objectif et les contenus de la participation ne sont soit pas réfléchis, soit pas énoncés, souvent la concertation est menée pour elle-même, sans objectif d’aboutir un résultat coproduit quand elle n’est pas programmée après la définition du projet par les techniciens et les élus. Le partage des rôles et la prise de parole ne sont généralement pas aménagés pour être sincèrement effectifs et productifs. Il n’y a au fond pas de reconnaissance de capacité et de possibilité laissée aux acteurs de la société civile de s’exprimer sur les différents aspects du projet. Cherche-t-on dans une concertation à dégager les différents sens possibles d’un projet ou à vérifier son acceptation ? Généralement les citoyens ne sont pas invités à négocier la caractérisation du projet et ses principes majeurs mais simplement à réagir. Ceci explique le désintérêt croissant des habitants pour ces propositions participatives ou même leur franche opposition, de plus en plus violente.

Le défaut, l’impossibilité d’une démarche sincère ne s’expliquerait donc que par le refus des techniciens et des élus à ouvrir le débat. L’étude présente en conclusion, l’ensemble des outils mis à disposition des programmateurs, ils existent et nous disposons de tous les référentiels pour se faire.

Cette étude se conclue en révélant comment les secteurs du luxe, des industries culturelles et des technologies de l’information et de la communication usent d’une culture, d’une méthode et d’outils marketing pour, très en amont, dans une dynamique de rétroaction permanente, savoir et co-construire leur produit avec leurs futurs clients, usagers, relais d’information. Nous savons donc comment mettre en place les conditions de coproduction. Alors est-ce par mépris de telles approches que l’on refuse de telles pratiques de co-conception ? Mais pourquoi alors user des solutions de communication les moins intéressantes pour faire croire en de la participation ? Est-ce par manque de volonté des élus simplement ? Est-ce – et nous croyons en cette hypothèse – à cause d’une définition de l’intérêt général qui devrait peut-être être réévaluée en méprisant notamment moins l’idée de l’intérêt privé ? Est-ce par peur d’ouvrir les boites de pandore ? Est-ce par mépris des compétences des habitants simplement ? Est-ce parce que quand cela existe, les habitants ne sont pas toujours reconnaissant électoralement ? Soyons positifs et considérons que peut-être le manque de moyens explique d’abord un tel manque d’intérêt. Si tel est le cas, travaillons à éclairer, comment une intelligence collective peut produire nombre d’économies sur un projet et son usage et investissons les territoires, plus largement comme espace de concertation avant tout projet quel qu’il soit. Dans un espace maillé de relations, connaissances, protocoles, habitudes de travail durables, alors certainement de telles pratiques seraient plus simples et moins coûteuses à effectuer et certainement de tels écosystèmes seraient plus payant électoralement.

 

Bruno Caillet