La Maison Forte

Faire action politique locale, nouveaux territoires d'action.

Conclusion des débats issus des Champs Magnétiques 2022


Durant quelques heures, grâce à de nombreux échanges appuyés sur la projection de quelques films, nous avons commencé à brosser ce qui aujourd’hui peut faire action locale et citoyenne, ce qui permettrai de mettre en œuvre une dynamique capable de réamorcer un « mieux vivre » nos territoires. Voici de premières pistes qui seront une base pour développer nos « ateliers populaires » et futurs « champs magnétiques » : Initier le mouvement, promouvoir l’expertise citoyenne, assumer une place de médiation, faire avec l’existant et construire un récit régénératif. Une pas de côté, déconstruire l’espace des territoires.


Initier et faire confiance dans le mouvement

Ce qui se met en œuvre sur nombre de territoires, pour permettre le changement, n’a pas forcément vocation à devenir, à se transformer mais simplement à être, à exister et à permettre une mise en mouvement. Chose qui est complexe quand les élus et les citoyens attendent plus des solutions qu’une capacité à énoncer collectivement une complexité. L’enjeu est donc bien de produire des expériences collectives qui permettent d’être différents, que ces expériences réussissent ou non. Ainsi, c’est le chemin qui compte plus que la destination, l’enjeu : fabriquer des expériences collectives transformatrices plus que des solutions.

Pour que ce chemin existe, il faut redonner la possibilité de pouvoir s’exprimer. Quelques moteurs semblent aider à cela : Travailler pour les générations futures, réhabiliter la notion d’un arpentage citoyen, dépasser l’idée que pour faire politique il faille entrer dans un parti politique ou dans un groupe en charge de l’administration politique d’un territoire.

Assumer l’espace des possibles et donc de l’échec. Si une mobilisation citoyenne pour une réforme constitutionnelle semble impossible (c’était l’hypothèse du film « Allons enfants ! », présenté avant le débat), il est important de voir qu’en parallèle une réforme institutionnelle, voulue par l’exécutif est aussi un échec. Ainsi, ce qui compte est la mise en capacité des parties prenantes. De cette confiance peut naitre une forme renouvelée de citoyenneté.


Promouvoir l’expertise citoyenne

Clairement nous vivons une prise de conscience importante d’un défaut d’égalité entre citoyens et élus. Pourtant, nombre d’expériences font la preuve que l’expression citoyenne est souvent pertinente. Elle est pertinente à la condition de motiver à nouveau la rencontre entre acteurs de la société. Cela fonctionne si la parole experte ne s’exprime pas de manière à figer les choses et si on redonne une place à l’expression de l’émotion.

Quand on met en place de tels dispositifs, sans risque d’exclusion lié à la posture de sachant alors on permet de s’augmenter collectivement. Et s’augmenter c’est devenir citoyen.


Conscientiser et mettre en place une dynamique de médiation

Celles et ceux qui sont les vrais politiques de ces histoires de réappropriation citoyenne semblent, en fait, les animateurs de ces dispositifs, ceux qui sont dans la recherche d’une parole pour la transmettre le plus justement possible. La difficulté est que l’on ne sait plus où sont les médiateurs dans la société. Où cette parole s’exprime quand les lieux assignent des places aux gens ? On ne sait plus comment faire sortir les élus de leur lieu du politique ? La question se pose de comment inventer des lieux du territoire et du politique dont on n’aurait pas hérité ? Quid de la réhabilitation de l’éducation populaire sur ces enjeux ?

Il est évident qu’il y a un besoin de réapprendre le débat et le dissensus. De plus en plus de projets pédagogiques, dans les écoles, portent sur le sujet et cela fonctionne. En fait, seule la possibilité d’un débat permet un processus de réagencement des enjeux capable de traiter et de faire accepter la complexité. L’approche citoyenne permet d’éviter l’opposition partisane propre au politique tel que vécu aujourd’hui, elle permet un réel travail de la pensée.

D’une certaine façon cette médiation est plus évidente, peut-être sur les territoires ruraux, car là, il y a généralement moins d’intermédiaires, ce sont les élus en relations qui, avec les associations, font le boulot (quand ils le font).


Assumer l’existant, prendre en considération les fractures sociales, et passer d’une attractivité conçue depuis l’extérieur à une valorisation des ressources existantes

Il y a un sentiment d’archipélisation croissant que l’on ne sait pas gérer qui se cristallise autour du fait que tout le monde n’a pas le sentiment d’être représenté.

Une des pistes de changement serait de passer d’un désir d’attractivité économique à une attractivité sociale qui entrainerait une dynamique économique. Considérer un territoire où l’on ne fait pas que résider, travailler mais où l’on s’investit. Le problème du concept d’attractivité c’est que souvent ce terme est pensé par rapport à l’extérieur ce qui fait que l’on ne se regarde plus soit même, on oublie ses propres potentiels et ses difficultés.

S’interroger sur ce qui fait chaine de valeur sur un territoire est probablement une bonne hypothèse avec en ligne de mire une seule question : qu’est ce qui fait ressource ?


Poser la question du sens, construire une lisibilité et une continuité de la chose publique : faire récit régénératif

Les processus de concertation citoyenne ont souvent en commun de révéler un besoin de lisibilité, de compréhension des enjeux associés à la chose publique, à la décision et à l’idée même de lois.

Une des raisons de la difficulté des processus de participation des citoyens à la chose publique est probablement la difficile mise en œuvre d’une continuité des réflexions associées à l’espace de vie. Sur ce sujet, apparaît un énorme problème de langage, les gens ne se reconnaissent pas dans la manière dont est énoncé la complexité.

Par ailleurs, la difficulté semble de plus en plus le sentiment, tant pour les administratifs, élus et citoyens d’une perte de sens dans la façon dont est mise en perspective la chose publique et l’espace de vie. Une perte de sens qui se traduit par une absence de récit. Pourquoi on se mobilise sur les territoires ? Quel est le sens de l’action ? Souvent on fait mais le pourquoi, on l’oublie. Et c’est peut être ce qui dit une forme de remobilisation citoyenne sur les territoires c’est que l’on a perdu le fil des raisons pour lesquelles on produit du service public. On fait parce que la loi, l’appel à manifestation nous y invite, mais on oublie souvent d’analyser les enjeux. Le sens de l’action est peu interrogé et souvent on confond les problèmes. Ces initiatives ne sont elles pas des épiphénomènes ou arrive-t-on aujourd’hui à un point de bascule ?

Faire récit, régénératif, à partir de ce qui est et donc de ce que l’on peut transformer collectivement est probablement une des conditions pour faire autrement. Seule une telle approche permettrait de quitter les modèles inopérants ainsi que les stigmatisations associées à la définition du territoire (rural, urbain, périurbain…)

Le développement local ne « renverse jamais la table » mais met souvent en œuvre des effets de bascule. La question est de savoir comment l’expérimentation est ressaisie par les politiques publiques ? Il y en a de plus en plus. La modélisation des expériences corsète l’innovation locale. Peut être la politique publique devrait se concentrer sur des pactes plus que sur des modèles. Depuis cinquante ans, on n’a pas réinterrogé le rôle des collectivités territoriales, ni celui de l’État, ni celui des citoyens. Et c’est probablement pour cela que l’on ne fait pas suffisamment confiance en notre capacité intelligence collective.


Où sont celles et ceux avec lesquels faire : comment faire autrement territoire ?

En conclusion, peut-être la principale question n’est pas de savoir si les citoyens sont prêts à s’engager, si les élus sont prêts à prendre des risques ou même si les idées et concepts politiques sont présents pour changer de modes d’organisation locale. Si la réponse a ces trois questions est positive, la difficulté repose généralement sur l’injonction citoyenne à faire vite, sans inconfort et dans une forme de déni de la complexité des choses. Tout ceci lié à une culture politique de la rente et de la compétition territoriale.

Plus que de savoir que faire, avec qui et selon quelle méthode, la réponse peut être de comprendre comment il est possible de catalyser des envies d’actions locales collectives ? Envies qui, sur les territoires, existent.

Sur ce point, une lecture du sociologue Henri Mendras, auteur de « La fin des Paysans » en 1967, peut nous inspirer et nous motiver à faire un pas de côté, particulièrement sur une définition contemporaine de ce qui fait territoire social. Pour lui, tant que les individus étaient reliés par les techniques de polyculture participant à une même construction de l’espace de vie, ils produisaient un écosystème économique et territorial qui permettait et entretenait une interdépendance des exploitations au profit de tous. Les modifications des techniques de production de la ruralité - particulièrement les pratiques de monoculture - ont impliqué de grands bouleversements sociaux  et une déconstruction des liens, qui sont d'ailleurs probablement  la cause d’une résistance au changement plus forte dans les zones rurales. Fort de cet exemple, peut-être faudrait il alors imaginer, non pas une refonte des politiques territoriales – rien que l’énoncé du sujet est démobilisant tant la question est grande – que l’organisation d’un ensemble de centralités connectées, fondées sur des outils partagés pour la construction de nouvelles urbanités. Ces centralités émancipées des politiques territoriales telles que nous les connaissons reposeraient, sujet par sujet, sur l’organisation de coopérations fondées sur un groupe de personnes suffisamment diverses mais qui se reconnaissent dans un besoin commun et dans une capacité à penser et à agir de manière transverse sur ces territoires. Dans ce cadre, l’élu verrait ses missions évoluer de deux manières : motiver les coopérations entre acteurs de différents territoires (géographiques et affinitaires) et travailler à leur coordination. À ce qui apparait toujours un peu plus comme des rentes de pouvoirs territoriaux, s'associerait une dynamique sociale d’archipels dédiée à des formes nouvelles d’actions locales. Ainsi, faire action politique locale serait principalement faire un premier pas de côté dans la redéfinition même de ce qui fait territoire à savoir, un espace social ouvert plus qu'un périmètre administratif fermé sur lui même.